Trilogie Jurassic World (2015-2022) : John Sayles dans l'ombre de Colin Trevorrow...

Dans le sillage de la sortie de Jurassic World 3 : Dominion (ou Le Monde d'Après dans nos contrées), revenons à l'issue de cette trilogie sur un aspect pour le moins édifiant qui explique bon nombre de soucis de celle-ci : l'origine des idées. 

Car si bien des gens pensent que Shakespeare n'a pas vraiment existé et que Corneille a écrit les œuvres de Molière au XVIIe siècle, on remarque depuis Jurassic World qu'une semblable problématique semble être au travail sur les Jurassic et qu'elle voit par un curieux paradoxe être adulé par le grand public un des moments les plus décriés de l'existence de la franchise.


Pour comprendre, il est important de revenir en arrière. 


De Jurassic Park 4 à Jurassic World (2001-2015)

Lorsque Jurassic Park 3 sort sur les écrans à l'été 2001, le film ne connait pas une forte adhésion de la part des critiques et du public (tout le monde s'accorde sur le fait que le film est divertissant mais on souligne à volonté sa durée, son scénario relativement faible, certains choix artistiques, la musique, etc). Cependant, sur le plan commercial il parvient à réunir un peu moins de 370 millions de dollars dans le monde, ce qui en fait pour Universal un succès. Certes, c'est bien moins impressionnant que le quasi-milliard de Jurassic Park et les 619 millions du Monde Perdu mais quand même. Cela incite donc dès le départ la firme à lancer l'idée d'un quatrième volet et Steven Spielberg se déclare d'accord sur la question dès l'été 2002. 

Au passage, constatons donc déjà que contrairement à la légende tenace, ce n'est PAS Jurassic Park 3 qui est la cause de la décennie qui le séparera du film suivant. 

La trilogie de la sainte passion éternelle. Certes pas parfaite mais toujours autant de plaisir à la revoir. Fut-ce à la 150e fois.

Mais voilà, alors que tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu'on imaginait sereinement que Jurassic Park 4 arriverait dans les salles probablement en 2005 (puisque quatre ans séparaient chacun des opus du précédent), les choses se compliquèrent vite. Le première scénario est rédigé par William Monahan et comporte quelques idées intéressantes (retour d'anciens personnages et question des dinosaures comme espèces invasives qui quittent Isla Sorna) mais Steven Spielberg veut qu'il soit retravaillé. C'est alors qu'entre en scène un nom qui aura son importance : John Sayles. Sayles conserve certains éléments de Monahan mais va y adjoindre tout un concept qui dérive gravement de Jurassic Park, à base d'hybridations farfelues, de mélange dinosaures-humains, de dressage pour l'armée et autres aberrations que vous connaissez sans doute si vous avez déjà trainé sur le net. 

A la fuite de ces révélations courant 2006, les fans sont unanimes pour dire que l'on se trouvait face aux pires idées dans la longue et triste histoire des mauvaises idées et fort logiquement Spielberg a été de cet avis auparavant. Le script de Sayles part aux oubliettes et Jurassic Park 4 repart pour plusieurs réécritures dont on ne sait que peu de choses si ce n'est qu'aucune ne sera validée, ce qui entraine le report du projet à 2008 puis à son annulation annoncé par Kathleen Kennedy à la fin de cette année-là (j'en ai parlé en préambule ici).

Quelques exemples connus de concepts pour le JP4 de Sayles.

Alors qu'une grosse année entière passe sans que rien ne bouge sur Jurassic Park 4 et que la plupart des fans commencent à penser qu'il ne verra pas le jour (il faut le dire, c'était très déprimant à vivre à l'époque), les choses finissent par se précipiter d'un coup : Joe Johnston, réalisateur de Jurassic Park 3, annonce qu'il y aura bien un Jurassic Park 4 et que ce sera le début d'une second trilogie de films Jurassic Park, tandis qu'en 2011 Steven Spielberg lui-même annonce que le film sortira pour 2014. Johnston ne restera finalement pas (pour des raisons qui restent à définir puisque personne n'en parle sur le plan officiel) et c'est un petit jeune nommé Colin Trevorrow qui prend les commandes du projet, rescénarisant avec son comparse Derek Connolly le dernier script du duo Rick Jaffa-Amanda Silver. 

Bien évidemment, les contraintes liées aux envies financières et commerciales cupides d'Universal forcèrent à ce que le projet dérive complètement de ce qu'il aurait dû après toutes ces années et c'est ainsi qu'au lieu de constituer le point final terminant judicieusement l'histoire débutée en 1993, Jurassic Park 4 devient avec Jurassic World un reboot soft destiné à relancer la franchise pour deux ou trois décennies en commençant par commettre l'l'hérésie impardonnable et ultra-incohérente de montrer un parc à dinosaures opérationnel pour faire revenir le public en salles (parce que de toute évidence les gens voulaient apparemment voir ce qui n'avait strictement aucun sens à faire dans un Jurassic Park). 

Démarre donc avec le succès incompréhensiblement incommensurable de Jurassic World, la nouvelle franchise d'Universal pour rivaliser avec les autres studios, une franchise dont la "phase 1" (comme on pourrait l'appeler) vient de s'achever avec la sortie de Jurassic World : Dominion

Le pire, c'est qu'il y a un bon dans ce bordel. Mais ça n'a rien à faire dans Jurassic Park.

Fort de la popularité de la nouvelle franchise, Colin Trevorrow entre au panthéon des jeunes réalisateurs de blockbusters et se voit même offrir de réaliser un projet encore plus gros, à savoir Star Wars, épisode IX (avant de se faire écarter du projet pour des raisons que nous n'évoquerons pas ici). Tous les aficionados (dont certains web-critiques extatiques dont nous tairons les noms pour ne froisser personne vu qu'on se demande ce qu'ils prennent avant de tourner pour être à ce point aveugles sur ces films-ci tout en ne pardonnant rien aux autres qui sont du même niveau de pertinence scénaristique pour leurs franchises respectives) des trois derniers films Jurassic font depuis lors Trevorrow un auteur de génie (et de surcroit un génie incompris). 

Sauf qu'au-delà des problèmes d'écriture qui transparaissent de ces trois films, il faut remettre les choses en place : Colin Trevorrow reprend énormément d'idées du scénario de John Sayles, au point que la trilogie entière en est émaillée jusqu'à plus soif


Et pour montrer cela, nous allons tout simplement reprendre certains points en faisant la comparaison entre le bloc Jurassic World-Fallen Kingdom-Dominion et ce que l'on peut savoir du script de John Sayles de 2004 en se renseignant sur Internet. 

Ne vous inquiétez pas, par volonté de fairplay et étant magnanime, il ne sera pas fait de sort aux Jurassic World. Nous nous contenterons de voir les ressemblances troublantes qui sont fort nombreuses.


Le Jurassic Park 4 de John Sayles versus les Jurassic World de Colin Trevorrow 

Note : JP4 a connu bien des versions différentes mais ici nous emploierons le nom pour désigner le scénario de Sayles par souci de simplification. 

  • Dans JP4, le personnage principal est un mercenaire du nom de Nick Harris issu de l'armée américaine.
    Dans JW1, le personnage principal est un dompteur (éthologue ?) du nommé de Owen Grady qui est issu de la Navy.


  • Dans JP4, on retourne sur Isla Nublar (qui a, semble-t-il, bien perdu ses dinosaures après JP1).
    Dans JW1, on retourne sur Isla Nublar (qui a, elle, gardé ses dinosaures après JP1).
    Pour la question de Nublar, voir ici.

  • Dans JP4, des ptérosaures attaquent une foule (un match de baseball).
    Dans JW1, des ptérosaures attaquent une foule (la mainstreet du parc).


  • Dans JP4, une partie de l'action se passe dans un château perdu en montagne où des hybrides sont fabriqués dans un labo souterrain.
    Dans JW2, une partie de l'action se passe dans un manoir perdu en forêt où un hybride est fabriqué dans un labo souterrain.


  • Dans JP4, John Hammond veut se racheter et trouver une solution à la catastrophe qu'il a causée (les dinosaures).
    Dans JW3, Henry Wu veut se racheter et trouver une solution à la catastrophe qu'il a causée (les sauterelles géantes).


  • Dans JP4, il y a une entreprise autre qu'InGen qui fabrique des dinosaures en plus que ceux qui existent sur Isla Sorna.
    Dans JW3, il y a une entreprise autre qu'InGen qui fabrique des dinosaures (et des sauterelles donc) que ceux qui existent dans la nature.


  • Dans JP4, il y a un groupe de cinq "raptors" (Vélociraptor ou Deinonychus ?) modifiés qui ont chacun un nom : Hector, Perseus, Spartacus, Orestes et Achilles.
    Dans JW1, il y a un groupe de quatre Vélociraptors modifiés qui ont chacun un nom : Blue, Charlie, Delta et Echo.

  • Dans JP4, les scientifiques de l'entreprise Grendel fabriquent des hybrides en mélangeant humains et différents dinosaures. 
    Dans JW1 et JW2, les scientifiques d'InGen et de Mills fabriquent des hybrides en mélangeant différentes espèces de dinosaures. 


  • Dans JP4, les raptors sont dressés pour répondre à des besoins militaires. 
    Dans JW1, les Vélociraptors sont dressés pour servir à des besoins militaires. 

  • Dans JP4, les dinosaures sortent (plus ou moins) naturellement d'Isla Sorna et atteignent le continent. 
    Dans JW2, les dinosaures quittent Isla Nublar grâce aux humains et atteignent le continent.
  • Dans JP4, un reptile marin (Kronosaurus, a priori) attaque un avion aux abords d'Isla Nublar.
    Dans JW2, un reptile marin (le Mosasaurus) attaque l'hélicoptère qui passe au-dessus du lagon d'Isla Nublar.


  • Dans JP4, il est question de fabriquer des clones stériles qui permettront de faire disparaitre les dinosaures.
    Dans JW3, il est question de fabriquer des clones modifiés des sauterelles géantes qui permettront de les faire disparaitre. 

  • Dans JP4, le but du personnage principal est d'abord de retrouver la bombe de Barbasol vue dans JP1.
    Dans JW3, Dodgson fait demi-tour dans le but de récupérer la bombe de Barbasol vue dans JP1

  • Dans JP4, les raptors dressés sont lâchés dans la nature et portent des caméras sur la tête.
    Dans JW1, les Vélociraptors dressés sont lâchés sur Isla Nublar et portent des caméras sur la tête.

Ce sont les exemples que me sont apparus au fil des trois films, il se peut qu'il y en ait d'autres disséminés dans Camp Cretaceous ou autres et auxquels je n'ai pas fait suffisamment attention, je vous laisse le soin de les mentionner en commentaires s'il y en a.

Je crois que le constat parle de lui-même et qu'il explique pas mal de choses sur les errances et erreurs de la trilogie Jurassic World. Qu'Universal n'ait pas laissé tomber les idées WTF de Sayles en dit long sur l'intérêt qu'ils portaient - et portent toujours donc - à Jurassic Park.

Et comme la saga va continuer (cela s'en ressent d'ailleurs nettement dans Dominion qui a été réécrit pour constituer une transition et non une fin), l'on peut penser que l'on continuera dans les années à venir à voir mise en application les idées du plus foireux des scénarios du malheureux Jurassic Park 4 qu'on ne verra jamais. 


Sources utilisées pour vérifier les infos et souvenirs que j'avais à disposition : 
Jurassic-Park.fr
Podcast L'arlésienne Jurassic Park 4 de Jurassic-Park.fr, disponible sur Youtube.
Vidéo Jurassic Park 4 : histoire de ce projet abandonné de La Chaîne du Geek, disponible sur Youtube.
Vidéo Jurassic Park 4 : le scénario de la folie !!?? de la chaîne Xeno-Life, disponible sur Youtube.
Vidéo Jurassic Park, la mythologie (partie 4/4) de Mathieu Blomme de la chaîne Etat : Critique, disponible sur Youtube.


PS : contrairement à ce dont on pourrait m'accuser, le présent article n'est en rien inspiré de cette vidéo-ci (j'avais le projet de parler du scénario de Sayles sur les Jurassic World depuis très longtemps et il se trouve que le hasard du calendrier a fait que cette vidéo fut publiée alors que je me commençais à mettre au propre mon texte).

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