Jurassic Doc #39 - Méthode Scientifique et AstronoGeek : la défaite russe dans la course à la Lune

Jeudi 23 novembre 1972 à Baïkonour, dans l'actuel Kazakhstan. A deux semaines du lancement de la dernière mission habitée étasunienne à destination de la Lune, Apollo 17, l'URSS tente pour la quatrième fois de faire voler sa propre fusée lunaire, la N1. Le lanceur géant s'élance majestueusement vers le ciel, prend de l'altitude... mais explose au bout de 107 secondes de vol. 

Les ingénieurs soviétiques qui œuvrent sur le programme ne le savent pas encore mais celui-ci est d'ores et déjà condamné par le Kremlin. Pour les politiques du parti, il est temps de passer à autre chose et de cacher toutes les traces de cet échec afin de limiter l'humiliation idéologique. Les ingénieurs tenteront bien de continuer leur travail pour réussir eux aussi à faire débarquer des Hommes sur notre satellite mais le sort du programme est scellé. La défaite russe dans la course à la Lune est totale et tandis que douze Américains* foulent le sol lunaire, aucun cosmonaute soviétique ne marchera sur l'astre au XXe siècle. 

Un cosmonaute russe sur la Lune à la fin des années 60, illustration de couverture pour le premier tome de Jour J (éditions Delcourt).

Mais comment l'astronautique russe en est arrivée là après avoir, pourtant, été la détentrice de nombreuses grandes premières dans l'espace ? C'est ce que je vous propose de découvrir dans des documentaires que je vous partage aujourd'hui avec cette nouvelle digression spatiale sur ce blog.

Tout d'abord, un numéro de l'excellente émission radiophonique La Méthode Scientifique de France Culture qui revenait voici quelques semaines sur le beau parcours du programme spatial soviétique des années 1950 et 1960. 

Beau parcours car on a tendance à l'oublier qu'avant que les Etats-Unis parviennent à envoyer des Hommes jusqu'à la Lune ce furent les Soviétiques qui réalisèrent des étapes pionnières dans la course à l'espace. Pour n'en citer que quelques-unes parmi les plus mémorables : 

1957 : Spoutnik 1, premier satellite artificiel de la Terre ; Spoutnik 2, premier être vivant en orbite.
1959 : Luna 1, première sonde à atteindre l'espace interplanétaire ; Luna 2, premier engin à toucher la surface de la Lune ; Luna 3, premières images de la face cachée de la Lune.
1960 : premiers lancements vers Mars.
1961 : Vostok 1, premier vol spatial d'un être humain ; Spoutnik 7, premier lancement d'une sonde vers Vénus.
1965 : Voskhod 2, première sortie extravéhiculaire.
1966 : Luna 9, premier atterrissage sur la Lune ; Luna 10, première mise en orbite autour de la Lune.

Et cela va continuer encore, même après le sextuple triomphe américain sur la Lune : 

1970 : Venera 7, premier atterrissage sur Vénus et premier atterrissage sur une autre planète ; Luna 16, premier retour d'échantillons en automatique.
1971 : Saliout 1, première station spatiale ; Lunokhod 1, premier rover ; Mars 3, premier atterrissage sur Mars.
1975 : Venera 9, première image depuis la surface Vénus.


Pourtant, l'URSS ne parvint malgré tout pas à atteindre avant les Américains l'objectif ultime : marcher sur la Lune. En cause de ce grand échec une sous-estimation de l'adversaire qui dura trop longtemps, un manque de moyens techniques et financiers, des querelles internes entre les différentes têtes pensantes du programme spatial et un manque de temps, l'URSS ne s'attelant sérieusement au projet qu'à partir de 1964 (soit trois ans après le discours de JFK). 

Le pouvoir soviétique ne pouvant admettre aux yeux du monde avoir échoué, il fut décidé de cacher l'histoire du programme lunaire russe. Officiellement, le Kremlin répétera sur tous les toits au niveau international que les Etats-Unis ont dépensé des milliards de dollars pour rien puisque la Russie n'avait jamais été dans la course. Les autorités étasuniennes et russes savaient parfaitement ce qu'il en était vraiment mais le secret demeura. Personne ne sut rien du plan lunaire de l'URSS jusqu'à la fin des années 1980 et le début des années 1990, lorsque la chute du régime permit aux informations de filtrer et aux chercheurs de faire leur travail. 

Ce long silence explique d'ailleurs sans doute pourquoi la théorie du complot sur les missions Apollo (ici) a autant de succès en Russie encore de nos jours (). 

En souhaitant que l'émission vous intéressera, bonne écoute 😉 !


Une N1, la "Saturn V russe", en route pour son pas de tir.

Bien entendu, on ne saurait parler du programme lunaire soviétique sans faire également une place aux deux très bonnes vidéos réalisées par AstronoGeek sur ce sujet 😉 : 

Partie 1 :
Partie 2 :

Si l'Union Soviétique avait été plus chanceuse et mieux organisée sur ce projet, cela aurait-il pu drastiquement changer le cours de l'Histoire ? Si Jour J et Hugo Lisoir l'ont imaginé, je pense pour ma part qu'une réussite russe dans le débarquement d'humains sur la Lune n'aurait pas eu un effet aussi massif que cela. Avec l'économie de l'URSS d'alors et l'atteinte d'un objectif qui coûte si cher, il me parait plus probable que la Russie n'aurait fait "que" tenter d'égaler les missions Apollo, à savoir effectuer un certain nombre de missions et arrêter une fois qu'il aurait été considéré que la course à la Lune se serait soldée par un match nul. Bien qu'il y ait eu des projets russes de bases lunaires, il est difficilement imaginable que celles-ci auraient vraiment été construites en cas de succès du programme lunaire. Une conséquence positive que l'on peut envisager est que cela aurait cependant pu pousser les politiciens américains à ne pas restreindre avec tant d'ardeur les budgets de la NASA - du moins, pas si vite - et que l'agence aurait pu faire ses missions Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20, ne serait-ce que pour bien embêter les Russes en rajoutant des marches en plus pour l'égalisation. 

Mais le sort en décida malheureusement autrement.

Si l'Histoire avait été moins capricieuse, des LK reposeraient aujourd'hui à la place qui devrait être la leur, comme ici dans le film Apollo 18.

Cependant l'heure n'est plus aux regrets car la Russie d'aujourd'hui reprend doucement le flambeau de l'URSS d'hier et ambitionne de nouveau d'envoyer des cosmonautes sur la Lune. Forte de son expérience longue d'un demi-siècle dans les stations orbitales (les Saliout, Mir et ISS) et les séjours de longues durées dans l'espace, la Russie entreprend d'aller voir un peu plus loin et s'intègre dans l'élan lunaire qui touche la plupart des puissances spatiales actuelles (j'en ai parlé notamment ici). Objectif donc pour l'astronautique russe : développer un nouveau vaisseau pour remplacer le Soyouz et envoyer ensuite des cosmonautes vers la Lune. Le premier pas d'un Russe sur notre bon vieux satellite est ainsi pour le moment prévu pour les alentours de l'année 2030. 

Les premiers débarquements de Russes sur la Lune seront par ailleurs également le prélude de l'établissement d'une base lunaire robotique et habitée construite en coopération avec la Chine et d'autres pays (on en parle sur un autre de mes blogs ici) pour la période 2036-2045.

L'URSS n'avait pas voulu accepter d'arriver seconde sur la Lune mais la Russie se doit désormais de garder cette place dans l'Histoire. Et lentement mais sûrement, il semble qu'elle va finir par y arriver.  

Pour terminer, laissons le mot de la fin à Michel Chevalet dans son documentaire 50 ans de conquêtes spatiales


Si vous souhaitez encore plus d'informations sur le programme lunaire soviétique et sa triste perte, je vous conseille le livre de Vassili Michine (1917-2001), qui fut le maitre d'œuvre du projet après le décès de Korolev : 


N'hésitez pas à me dire en commentaires de cet article ce que vous pensez des documentaires que j'ai mis et votre avis sur le malchanceux programme lunaire de l'Union Soviétique 😉 ! 


* Comme d'habitude, je remets TOUS les noms. 
  1. Neil Armstrong (1930-2012), Apollo 11 (juillet 1969)
  2. Edwin Aldrin (né en 1930), Apollo 11 (juillet 1969)
  3. Charles Conrad (1930-1999), Apollo 12 (novembre 1969)
  4. Alan Bean (1932-2018), Apollo 12 (novembre 1969)
  5. Alan Shepard (1923-1998), Apollo 14 (janvier-février 1971)
  6. Edgar Mitchell (1930-2016), Apollo 14 (janvier-février 1971)
  7. David Scott (né en 1932), Apollo 15 (juillet-août 1971)
  8. James Irwin (1930-1991), Apollo 15 (juillet-août 1971)
  9. John Young (1930-2018), Apollo 16 (avril 1972)
  10. Charles Duke (né en 1935), Apollo 16 (avril 1972)
  11. Eugene Cernan (1934-2017), Apollo 17 (décembre 1972)
  12. Harrison Schmitt (né en 1935), Apollo 17 (décembre 1972)
Quelques autres astronautes étasuniens () devaient marcher sur la Lune au cours de quatre autres missions mais Apollo 13 ne put se poser sur l'astre en raison de son accident et les missions prévues Apollo 18, 19 et 20 furent malheureusement annulées pour cause de stupides et injustes restrictions budgétaires. 

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