1933-2018, le 85e anniversaire d'un chef-d'oeuvre des dinosaures au cinéma : King Kong
Si vous vous intéressez à la longue histoire des dinosaures dans notre imaginaire depuis près de deux siècles, vous n’êtes pas sans savoir que le Jurassic Park de Steven Spielberg sorti en 1993 est loin d'avoir été le premier film à montrer des dinosaures au cinéma. En effet, cela fait alors près d'un siècle déjà que ces fabuleux animaux du passé "revivent" au 7e art. Lorsque l'adaptation du roman de Michael Crichton débarque dans les salles obscures du monde entier, c'est ainsi une petite centaine de films qui ont déjà mis en scène des dinosaures. Si la plupart n'ont pas marqué les esprits des cinéphiles, quelques uns demeurèrent au fil des années puis des décennies des succès et dans de rares cas restèrent jusqu'à aujourd'hui considérés comme des chefs-d'oeuvre cinématographiques.
A l'occasion du 85e anniversaire du plus connu et génial d'entre eux, il m'a semblé intéressant de nous pencher sur cette pièce majeure de l'ère pré-Jurassic Park des dinosaures au cinéma : le film King Kong, réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack en 1933.
Aux origines de King Kong : un grand succès du muet et un projet avorté
1925. Le film The Lost World de Harry O. Hoyt (1885-1961) est un grand succès. Adapté du célèbre roman de Sir Arthur Conan Doyle (auteur entre autres des aventures de Sherlock Holmes), ce film muet marque la première véritable apparition marquante des dinosaures dans un long métrage au cinéma. S'il y eu quelques précédents, c'est cette oeuvre pionnière qui permet au 7e art de s'emparer du sujet des dinosaures.
L'histoire est simple : au début du XXe siècle, une expédition est montée par le professeur Challenger pour rejoindre un mystérieux plateau d'Amérique du Sud où des animaux préhistoriques vivraient encore, cachés aux yeux du reste du monde. Arrivés sur place, nos protagonistes découvrent des dinosaures et tentent de survivre au milieu de cette faune dangereuse. Une histoire d'amour se noue durant ces péripéties et l'équipe d'aventuriers regagne Londres où un Brontosaurus qu'ils avaient ramené avec eux s'échappe et crée la panique.
Au-delà des dinosaures, c'est bien évidemment pour ses effets spéciaux que The Lost World est aussi connu. Ayant déjà œuvré sur quelques films sur les dinosaures, le génial Willis O'Brien (1886-1962) s'entoura ici d'autres artistes que l'on retrouvera quelques années plus tard sur King Kong. Mais avant de passer à l'animation des créatures, il a fallu trouver le design des dinosaures qui apparaîtront dans le film. Les artistes s'inspirèrent des tableaux de Charles R. Knigth (1874-1953), réputé pour dépeindre dans nombre de ses peintures des scènes de la vie préhistorique. Le film met donc en scène des dinosaures a l'allure dépassée : les queues trainent sur le sol, les carnivores se tiennent debout à la verticale, les herbivores sont lents et massifs, le Brontosaurus vit près d'un marais, etc... Si les dinosaures de The Lost World peuvent nous paraître aujourd'hui bien étranges, il ne faut pas oublier que nous sommes alors au début du XXe siècle et que cela est le reflet des connaissances de l'époque. En eux-mêmes, les effets spéciaux furent créés avec des figurines constituées d'une armature en métal dont les membres étaient articulés pour donner l'impression de vie lorsque les dinosaures se déplacent. Le souci de la perfection ira même jusqu'à compresser de l'air dans les figurines pour donner l'illusion de la respiration de l'animal.
La difficulté technique du long métrage poussera même les animateurs à devoir mettre au point de nouvelles techniques. C'est ainsi que l'on dû ruser pour parvenir à faire apparaître ensemble les acteurs et les dinosaures. Pour cela, on utilisa le procédé par lequel l'image s'imprime sur la pellicule. Dans un premier temps, on filme une scène en cachant une partie de l'objectif de la caméra, ce qui fait que la lumière n'impressionne pas la partie cachée et celle-ci reste noire. Ensuite, il suffit de réutiliser la même pellicule mais en cachant cette fois la partie filmée, ce qui permet de mettre sur la pellicule l'autre moitié de la scène. Technique pouvant être désastreuse si elle est mal exécutée (du fait d'une surimpression éventuelle), elle permit cependant de créer pour The Lost World des scènes mythiques du 7e art et participa grandement à la renommée du film à sa sortie.
Paula White (interprétée par Bessie Love) en mauvaise posture face à un dinosaure carnivore grâce à la magie des effets spéciaux.
Marquant le premier grand succès pour un film mettant en scène des dinosaures, on peut noter que The Lost World ne doit pas uniquement être gardé en mémoire pour ses seuls effets spéciaux. En effet, en plus d’être porté par une distribution d'acteurs populaires de l'époque comme Bessie Love ou Wallace Beery, le film est aussi l'un des premiers films à grand spectacle de l'histoire du cinéma, grâce à ses décors desquels se dégage une atmosphère d'aventure et de mystère.
Si The Lost World (1925) est une prouesse des effets spéciaux de son temps, il faudra encore repousser les limites pour atteindre le niveau nécessaire pour donner vie à King Kong (1933). Mais avant cela, une autre projet aurait pu empêcher le film que l'on connait tous de voir le jour.
En effet, au début des années 1930, les possibilités techniques offertes par le stop-motion à l'oeuvre sur The Lost World poussent à aller encore plus loin et le projet Creation de la RKO-Radio Pictures devait concrétiser cela. Se situant dans la lignée de The Lost World, le film est scénarisé par Harry O. Hoyt et Willis O'Brien. L'équipe technique du précédent film se retrouvant d'ailleurs embarquée pour celui-ci. L'histoire de Creation reprend les grandes lignes de celle de The Lost World mais apparaît également comme un brouillon de ce que sera par la suite King Kong : à la suite du naufrage de leur bateau, un petit groupe de personnages se retrouve coincé sur une île mystérieuse peuplée de créatures préhistoriques. Les protagonistes devront tenter de survivre et de s'échapper de cet enfer.
La préparation du film demande de repousser les prouesses déjà exceptionnelles pour l'époque de The Lost World et quelques scènes nécessitèrent une amélioration encore jamais vue du stop-motion, notamment la scène au cours de laquelle un chasseur est poursuivi par un Tricératops. Les décors sont également changés et mêlent la jungle avec des ruines de temples. Ce mélange de genres se retrouva également par la suite dans King Kong.
Cependant, alors que tout semble aller pour le mieux et que les équipes techniques s'efforcent de repousser encore et encore les limites des effets spéciaux, la RKO ne peut plus suivre. En effet, le film dépasse sévèrement son budget et le contexte de la crise de 1929 rend la situation de plus en plus difficilement tenable pour la production. Alors que quelques scènes avec des dinosaures étaient déjà finalisées, le studio change de direction (William Le Baron cédant sa place à David O'Selznick) et le coût du film entraîne finalement l'abandon de Creation. Cependant, si ce film ne voit pas le jour en 1931, la perspective d'un gros succès poussa la RKO à se lancer dans un nouveau projet reprenant les ingrédients du précédent.
Personne ne le sait encore mais ce projet qui doit éviter la banqueroute à la RKO sera une oeuvre cinématographique majeure de l'histoire du cinéma.
La naissance de King Kong
L'abandon en 1931 de Creation aurait pu faire abandonner l'idée d'un nouveau grand film sur les dinosaures. Ce fut paradoxalement l'inverse qui se produisit. Au cœur de nouveau projet se trouve le producteur et réalisateur Merian C. Cooper (1893-1973), dont le parcours à cette époque témoigne de son goût pour l'aventure. Rêvant de terres lointaines et de créatures fabuleuses, Cooper imagine une histoire ayant pour personnage principal un primate géant. Bien que dans une situation financière délicate au début des années 1930, la RKO, sans doute emportée par l'enthousiasme de Cooper et quelques essais de stop-motion, valide le projet. Cooper se met alors à l'écriture du scénario avec un auteur britannique, Edgar Wallace. Le projet ne nomme alors The Beast.
Pour la réalisation du film, Cooper se tourne vers son ami Ernest B. Shoedsack (1893-1979), avec lequel il a déjà travaillé à plusieurs reprises, notamment sur Grass en 1925 et Chang en 1927. Shoedsack co-réalisa également en 1931 l'un des premiers grands films d'aventure et d'action du cinéma, The Most Dangerous Game. A ce stade, le scénario est repris par Ruth Rose (femme de Shoedsack) et James A. Creelman. Le film acquiert à ce moment ce nom bientôt mythique : King Kong.
L'histoire de King Kong s'inscrit dans la lignée de The Lost World et Creation. Carl Denham, réalisateur reconnu, se prépare à partir pour les terres lointaines de l'océan Indien afin de tourner son nouveau film. Ne trouvant pas sa vedette féminine pour incarner le premier rôle de son long métrage, il engage juste avant le départ la jeune Ann Darrow, comédienne au chômage dans le New York de la grande dépression consécutive à la crise de 1929. Elle tombe amoureusement durant le voyage du second du capitaine, Driscoll. Durant le périple du navire, un mystère entoure la destination réelle du voyage. Denhman explique qu'il veut être le premier à aborder une île semblant issue de mythes, Skull Island. Le cinéaste possède la seule preuve de l'existence de l’île et la décrit à partir des quelques renseignements qu'il possède sur elle. En outre, l'endroit serait le lieu où vivrait une créature terrifiante nommée Kong. Malgré les doutes émis par le capitaine et les marins du Venture, l’île est finalement en vue. L'équipe ne tarde pas à rencontrer les indigènes qui, à la nuit tombée, enlèvent Ann pour l'offrir en sacrifice à Kong, qui se révèle être un primate gigantesque. La créature emporte Ann dans les profondeurs de la forêt et l'équipage se lance à sa poursuite pour délivrer la jeune femme. Les protagonistes découvrent rapidement que l’île est habitée par divers dinosaures et autres animaux préhistoriques. La faune de l’île tue tous les marins sauf Driscoll et Denham. Après quelques péripéties, Driscoll parvient à retrouver Ann mais Kong les poursuit jusqu'au village des indigènes. Denham décide alors de capturer Kong et de le ramener à New York pour l'exhiber comme phénomène de foire. Lors de la présentation aux Etats-Unis, Kong se libère de ses chaines, enlève de nouveau Ann et grimpe au sommet de l'Empire State Building. L'armée intervient et tue Kong.
Le casting de King Kong est composé d'acteurs connus à cette époque avec Fay Wray (1907-2004) dans le rôle d'Ann Darrow, Robert Armstrong (1893-1973) dans le rôle de Carl Denham et Bruce Cabot (1904-1972) dans le rôle de Jack Driscoll, l'amoureux d'Ann. On peut noter que Fay Wray et Robert Armstrong avaient déjà tourné ensemble peu de temps auparavant avec Ernest B. Shoedsack pour le film The Most Dangerous Game.
Affiche de 1933
Mais le personnage le plus important du film est surtout Kong. Le primate géant est le résultat d'une utilisation particulièrement impressionnante des effets spéciaux de cette époque. Grâce à la performance technique inouïe du stop-motion, le personnage possède des expressions faciales qui lui confèrent une personnalité propre au sein du long métrage. Cela est rendu possible par la grande expressivité donnée au visage du monstre et à sa place dans le récit. Kong n'est pas simplement le monstre, il est aussi le héros de l'histoire car bien que ses actions sont empreintes d'une agressivité animale, sa personnalité fait de lui un personnage sensible et attachant. La morale entourant le personnage de Kong est que l'humanité du monstre n'a d'égale que la monstruosité des hommes.
L'une des principales qualités de King Kong repose bien évidemment sur la très grande maîtrise des effets spéciaux. Continuant sur la lancée technique de The Lost World et de Creation, Willis O'Brien et ses équipes perfectionnent encore les trucages et sont amenés à en concevoir de nouvelles techniques. Du fait que toutes les créatures sont animées par stop-motion, Kong ne fut jamais incarné par un comédien en costume pour cette première version. Si le singe du film mesure une dizaine de mètres de haut, le véritable Kong n'était en réalité qu'une petite marionnette de 45 centimètres articulée grâce à un squelette métallique.
La complexité technique atteignit son paroxysme lorsque les créatures et les personnages devaient être présents sur un même plan et interagir. L'une des plus importantes d'entre elles est la séquence dans laquelle Driscoll est coincé dans un abri au dessus du gouffre et que Kong passe sa main dans ledit abri. Contrairement aux scènes où ce sont les comédiens qui sont au premier plan et les dinosaures au second, ici c'est l'inverse. Pour y parvenir, Willis O'Brien utilisa la profondeur du décor avant de créer la scène : dans un premier temps c'est Bruce Cabot qui est filmé puis la scène est projetée sur un mini-écran à l'intérieur du décor. L'animation de Kong est ensuite mise en scène en tenant compte des déplacements et actions de l'acteur. Malgré le fait que la marionnette de Kong ne mesurait qu'une quarantaine de centimètres de haut, le résultat final, grâce au jeu sur la profondeur du décor, parvient à donner à créer la scène au cours de laquelle Driscoll, seul survivant des marins, se défend de la main de Kong depuis une crevasse qui surplombe le gouffre où ses camarades connurent une mort tragique.
Scène au cours de laquelle Kong tente de déloger Driscoll de son abri.
Les animations en stop-motion de Willis O'Brien et ses équipes repoussèrent les limites de tout ce qui avait pu être fait avec ces techniques jusqu'à présent, ce qui rend le mouvement des créatures beaucoup plus naturel et abouti qu'il ne l'était dans The Lost World.
Pour ce qui est du son, il faut noter que King Kong n'arrive que quelques petites années seulement après les débuts du cinéma parlant. En plus des acteurs qui y parlent, le traitement sonore du film demanda beaucoup d'ingéniosité aux techniciens. C'est ainsi que l'on obtint les cris de Kong et des autres créatures en combinant les cris de différents animaux. Par un procédé similaire au mixage, des rugissements de lions et de tigres mis à l'envers donnèrent ainsi le cri si caractéristique de Kong.
L'univers de King Kong
Au-delà de Kong et des effets spéciaux qui permirent de lui donner vie, c'est tout un univers préhistorique qui apparaît dans King Kong et hante une terre de légende du cinéma fantastique, Skull Island. L’île est en effet en elle-même un personnage central du récit du film, étant un univers attisant le mystérieux avec sa muraille géante, ses indigènes qui sacrifient des jeunes filles à Kong, sa montagne en forme de crâne et ses créatures sorties du fond des âges. La plupart des décors dans lesquels évoluent les monstres de l’île sont des miniatures et l'impression de profondeur de la forêt est par des peintures sur verre. Le principe est simple : le fond du décor est peint sur une plaque en verre par un artiste en laissant un champ vide dans lequel les acteurs seront filmés au premier plan. Mais afin d'apporter le plus de profondeur possible aux décors fantastiques de l’île, O'Brien joua également sur la luminosité. Ainsi, pour créer l'ambiance et les scènes et rendre l'aspect gigantesque des créature, les techniciens s'inspirèrent grandement de certaines œuvres du français Gustave Doré comme Le Paradis Perdu. Il n'est pas rare dans ces dessins que le centre ou le fond de l'image soit lumineux.
En revanche, tous les décors n'entrèrent pas dans la logique de cette technique et la RKO dû se résoudre à en construire certains en taille réelle, comme ce fut le cas pour le sommet de l'Empire State Building et la célèbre muraille qui sépare le village indigène du reste de l’île. Par souci d'économie, une partie du décor d'un film précédent du réalisateur Cecil B. De Mille fut réemployé à cette fin et le mur de King Kong le fut ensuite lui-même par la scène de l'incendie d'Atlanta dans Gone with the Wind en 1938.
Vue de Skull Island et de sa muraille géante lors de l'arrivée de l'expédition sur l’île.
Avec son univers riche et mystérieux, King Kong s'impose comme l'un des plus grands films de son époque. Et Kong lui-même est un élément particulièrement intéressant de cet univers dont il est le centre. En effet, contrairement à beaucoup d'autres monstres du cinéma de cette époque, Kong est une pure création cinématographique et n'est donc pas issu d'une oeuvre littéraire pré-existante. Cela le distingue ainsi de la créature de Frankenstein par exemple. Physiquement, Kong est une créature à l'apparence fortement simiesque mais dont la démarche est proche de celle d'un être humain. Cette démarche, si elle sert le récit en permettant de faire de Kong une créature légendaire ni vraiment animale ni vraiment humaine, tient aussi d'une commodité d'animation car il était plus facile de le faire marcher ainsi, là où une démarche quadrupède aurait demandé beaucoup trop de difficultés.
En plus des modèles réduits pour la stop-motion, on utilisa également des modèles de grandes tailles, comme une main dans laquelle se plaçait Fay Wray ou des bustes de Kong pour les gros plans.
Par la personnalité du personnage, singe géant qui tombe amoureux d'une jeune femme, Kong est l'exemple du monstre qui se révèle finalement moins monstrueux que ses poursuivants. Cela compense son agressivité animale qui le pousse à tuer les protagonistes qui veulent sa peau. Ce contraste entre ces deux aspects permet au personnage de n'en devenir que plus attachant jusqu'à la scène finale du film qui parvient à émouvoir non pas de la victoire des hommes mais bien de la mort du monstre.
Une scène parmi les plus mythiques autant qu'émouvantes du 7e art : Kong affrontant les avions de l'armée américaine au sommet de l'Empire State Building.
Soixante ans avant Jurassic Park : King Kong et les dinosaures
Si King Kong n'est pas le premier film à montrer des dinosaures au cinéma, il marquera cependant pendant très longtemps leur principale apparition au 7e art et bien que la science d'aujourd'hui nous donne une image radicalement différente de ces reptiles disparus par rapport à ce qu'elle fut jadis, il en reste que le chef-d'oeuvre de Cooper et Shoedsack est représentatif de son époque, ce qui, convenons-en, n'en rend King Kong que toujours aussi passionnant à regarder.
Les créatures préhistoriques de King Kong (et à plus forte raison Kong lui-même) créent un contraste entre la civilisation absolue symbolisée par New York et la nature mystérieuse qui peut se révéler des plus hostiles. Les dinosaures du film de 1933 entrent dans cette vision : l'animal sauvage antédiluvien tue l'homme moderne civilisé. Cette confrontation est manifestée par le fait notamment que chaque rencontre entre les hommes et une créature préhistorique sur l’île est une attaque.
Les dinosaures de King Kong sont les archétypes, les principales figures de notre imaginaire dinosaurien collectif. C'est ainsi que le premier dinosaure à apparaître est un Stégosaurus qui croise la route des protagonistes qui marchent depuis déjà plusieurs heures dans la jungle sur la piste de Kong. L'animal devait s’être levé du pied gauche ce jour-là et se met à charger l'équipe qui se défend à coups de grenades. Le dinosaure finit par être tué. L'animal est dans une représentation classique de son époque : le déplacement du Stégosaurus tient du reptile, sa queue traîne sur le sol et sa peau est recouverte de grosses écailles.
"Oui, Oh, Ah... Ça commence toujours comme ça. Et après, il y a les "Sauve qui peut" et les hurlements."
Constatant que des animaux supposés disparus vivent sur cette île, l'équipe continue son périple et arrive au bord d'un lac. Les hommes construisent un radeau de fortune mais un Brontosaurus apparaît et renverse l'embarcation. Les marins terrifiés tentent de sortir de l'eau mais plusieurs d'entre eux sont mangés par le sauropode. Finalement, l'animal en manque de viande poursuit l'un des hommes sur la terre ferme et le dévore. Si cette image des grands dinosaures herbivores peut sembler tenir de l'hérésie avec nos yeux d'aujourd'hui, elle était cependant communément admise dans la première moitié du XXe siècle par les paléontologues. En effet, du fait de la masse colossale qui devait être celle de ces animaux, on pensa vite que ceux-ci ne pouvaient pas vivre sur le sol mais devaient au contraire passer la majeure partie de leur vie dans un milieu aquatique, les fleuves, rivières et marécages de l'ère Secondaire. Si l'on s'aperçut enfin que cela n'aurait pas été sans poser des problèmes physiologiques à ces dinosaures, cette vision des sauropodes perdura durant des décennies dans le grand public.
On notera que les deux premiers dinosaures croisés sur l’île sont tous les deux bien connus pour être des animaux herbivores. Aucune explication n'existe dans le film sur ce soudain intérêt de ces deux dinosaures pour le régime carnivore.
Et en parlant de carnivore, c'est le moment d'en arriver à ce qui est probablement la scène avec un dinosaure la plus connue de l'époque pré-Jurassic Park : le combat de Kong contre un Tyrannosaurus rex. Le théropode parvient à tenir tête au primate mais le duel tourne finalement à son désavantage et il finit par être vaincu. Là encore, la représentation du dinosaure est typiquement celle de cette époque : le carnivore se tient debout dans une position semblable à celle d'un kangourou et sa peau est semblable à celle d'un crocodile.
Par la suite, les protagonistes ne croisent plus de dinosaures sur leur route mais on peut citer ici deux scènes qui furent coupées au montage pour des raisons de rythme et d'auto-censure : la première voyait les personnages tomber sur un Styracosaurus qui les prend en chasse jusqu'au tronc d'arbre qui surplombe le gouffre. Kong réapparaît, les empêchant de traverser et fait tomber les marins dans le ravin. Si dans la version finale, les marins meurent, ce n'était pas le cas à l'origine. Les marins reprennent conscience au fond du gouffre et se font attaqués par des lézards, crabes et insectes géants, ainsi que par une araignée colossale qui tuent les survivants.
Après cela, Kong affronte une sorte de reptile serpentiforme géant dans une grotte qui mène au point culminant du l’île, son domaine d'où il domine tout. Enfin, comme on le sait par une autre image mythique du film, un dernier animal préhistorique apparaît. Alors que Kong a amené Ann au sommet de la montagne qui domine l’île, un Ptéranodon arrive et tente d'emporter Ann. Alerté par les cris, Kong engage un combat avec le reptile volant et le tue. Profitant de la confrontation des deux monstres, Driscoll récupère Ann et ceux-ci s'enfuient à travers la jungle pour rejoindre le village des indigènes.
Des dinosaures, des reptiles volants, des insectes géants : tout est là pour donner à Skull Island une caractère mythique fort dans le cinéma fantastique.
Conclusion
Porté par ses apports techniques majeurs en matière de trucages et d'effets spéciaux au cinéma, King Kong sort aux Etats-Unis en avril 1933. Les espoirs de la RKO sont rassurés : King Kong connait un très grand succès dans les salles obscures. Produit pour un budget d'environ 670 000 dollars il en rapportera presque 1,8 millions, somme considérable pour un film à l'époque.
Le succès traverse les frontières et l'on notera qu'à peine six ans après l'apparition du cinéma parlant avec The Jazz Singer (1927), King Kong est l'un des premiers films à être doublé dans un certain nombre de langues, dont le français. De plus, le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack se trouva également être l'un des tous premiers films à posséder une musique synchronisée exclusivement composée pour lui, avec une partition du célèbre compositeur Max Steiner (1888-1971).
King Kong s'impose comme l'un des plus grands succès de l'année 1933, aux cotés notamment de Queen Christina avec Greta Garbo. De ce fait, la RKO (dont les finances reprend des couleurs avec le succès) ne tardera pas à tenter de surfer sur l'engouement et produisit dès cette année 1933 une suite, The Son of Kong. Cependant, avec un budget deux fois moindre que pour celui de King Kong, l'enthousiasme ne gagne pas la production et, si elle n'est pas un mauvais film (cela reste un film sympathique, gardant toujours la frustration de ce qu'il aurait pu être si la RKO s'en était donnée les moyens), cette suite n'arrive pas à la cheville de son aîné et passera dans l'indifférence.
De nombreux autres films tenteront de reproduire le succès de King Kong dans les années et les décennies suivantes mais rares seront ceux qui laisseront une petite marque dans l'ombre du film de 1933. Oeuvre cinématographique absolument mythique, King Kong, bien que voyant sa représentation de ces animaux de plus dépassée par les découvertes scientifiques, restera quasiment jusqu'à la fin du XXe siècle la principale (et plus réussie) apparition des dinosaures au 7e art.
Pour qu'un nouveau film mette les dinosaures à l'honneur et donne un film parmi les plus marquants de son époque et de l'histoire du cinéma, il faudra attendre l'année 1993 et la sortie du nouveau film d'un certain Steven Spielberg, lequel ne manque d'ailleurs pas de faire un clin d’œil à cette pièce majeure du cinéma qu'est King Kong dans son film, par une réplique de Jeff Goldblum :
La boucle est bouclée.
Dommage que tu ne fasses pas mention des remake de 1976 et 2005, ainsi que du Skull Island de 2016 à la fin ! Et puis JP est loin d'être le film à remettre les dinos à l'honneur après King Kong. Il y en a eu des tas d'autres : La Vallée de Gwangi, One million years BC, Le 6ème continent...etc.
RépondreSupprimerMais à part ça excellent résumé cet article.
Merci pour ton retour ;) !
SupprimerEn fait, j'ai repris essentiellement ce que j'avais fait pour le chapitre de mon mémoire de Master sur les dinosaures au cinéma quand je l'ai écrit l'an dernier, donc j'ai pas fait mention de celui de 1976 ni de celui de 2017 puisque dans les deux il n'y a pas de dinos (je me suis contenté de placer deux lignes sur le remake de Guillermin en en disant un peu de mal et j'avoue que ça m'est arrivé d'exagérer un peu* par moments sur les séries B et ce que j'ai appelé un peu abusivement les nanars des années 50-60).
Quand je prends Jurassic Park comme le film qui remet les dinosaures à l'honneur au cinéma, c'était plus dans le sens de l'impact dans la culture populaire : La Vallée de Gwangi, One Million Years BC et les autres ont beau avoir continué de faire vivre le bestiaire dinosaurien entre 1933 et 1993, ils n'ont pas eu du tout la pérennité dans la mémoire collective de King Kong. De plus, Jurassic Park a ensuite eu un impact culturel beaucoup plus important au point qu'aujourd'hui quand on demande aux gens à quel film ils pensent quand on leur parle de dinosaure, c'est instantanément Jurassic Park (ou Jurassic World pour la jeune génération) qui ressort. King Kong a été ça aussi durant plusieurs décennies parce que beaucoup de choses (l'aura, l'univers, les scènes, etc) le rendaient encore particulier par rapport aux autres films précédemment cités. Jurassic Park est à ce niveau le film de dinosaures qui a su refaire quelque chose de similaire et a avoir un impact que l'on mesure encore aujourd'hui.
* D'ailleurs, j'ai aussi un peu trop exagéré sur Jurassic World, j'étais encore mal luné là-dessus quand je faisais mon mémoire ^^ !